« Voici le bout du monde », plaisante Nazim, désignant de la main la vallée perdue et la route de montagne qui s’arrête net devant lui. Le jeune homme de 24 ans est Gorani, l’une des minorités du Kosovo vivant au Sud du pays dans les villages perdus du mont Sar, coincés entre l’Albanie et la Macédoine. Il remonte l’une des rues escarpées de Kukaljane qui mène au seul café de la bourgade. A l’intérieur, les hommes jouent aux cartes en fumant cigarette sur cigarette – des Marlboro serbes – et buvant le café à l’orientale. Comme beaucoup, Nazim a tenté sa chance en Europe, mais un charter l’a ramené chez lui. Depuis 10 ans et la fin de la guerre, les Gorani n’ont cessé de quitter leur terre natale. Les chiffres sont éloquents : 20 000 avant la guerre, ils ne seraient plus que 6 000 de nos jours. « On voit des civilisations disparaître en Afrique mais ici nous sommes au cœur de l’Europe », constate avec gravité l’un de ses amis, conscient que sa culture est vouée à disparaître.
Qui sont les Gorani ? Les spécialistes s’accordent à dire qu’ils sont des slaves islamisés sous l’empire ottoman, mais leur origine est sujette à de nombreux débats, y compris au sein de la communauté. Avec les Serbes, ils partagent une proximité de langage, avec les Albanais, la même religion, l’islam, mais restent à la frontière des deux cultures. Au Kosovo, ils sont laissés pour compte : les souvenirs de la guerre de 99 où certains Gorani ont été enrôlés par les Serbes sont encore vivaces. Ne parlant pas albanais, la langue officielle, ils ne peuvent poursuivre d’études supérieures. Pour les plus chanceux, c’est le départ vers l’ « Eldorado » européen. Pour les autres, la galère du chômage et de l’exclusion.
Mais s’ils partent, les Gorani de la diaspora restent profondément attachés à « leur terre ». Ils ne manqueraient pour rien au monde la Djurdjevdan, une fête rom célébrée en grande pompe dans tous les Balkans au mois de mai : les chants ancestraux sont entamés et les habits traditionnels ressortis. L’occasion aussi pour les jeunes de faire des rencontres intra-communautaires en vue des mariages de l’été – car, selon l’adage, « on naît, on se marie et on meurt à Gora ».
Synopsis : David Breger et Delphine Bauer/Youpress