12h56, un vendredi de début de printemps. Alors que les premiers fidèles sont déjà rassemblés à l’intérieur de la mosquée, les autres, nombreux, se pressent à l’extérieur en entendant les premières notes de l’appel à la prière du muezzin. Une scène familière, de Rabat à Istanbul en passant par Beyrouth. Mais nous sommes dans le district de Fittja, une banlieue du sud de Stockholm, et cet adhan est le tout premier qui s’élève dans le ciel suédois.
Plus d’un an et demi après leur demande, l’association islamique turque qui gère cette mosquée a enfin eu gain de cause. Mais si le débat a bien eu lieu au sein de la société suédoise, l’affaire ne s’est pas jouée dans les médias, au parlement ou dans les tribunaux. C’est la Police de Stockholm, en charge de toutes les autorisations concernant l’utilisation de l’espace public, qui a pris la décision finale et la municipalité de Botkyrka, à majorité sociale-démocrate, et dont dépend Fittja, ne s’y est pas opposée. L’adhan pourra donc avoir lieu, une fois par semaine, et durera entre trois et cinq minutes.
A Fittja, la majorité des fidèles est turque dans un district où 65% de la population est issue de l’immigration. Pour l’heure, l’imam finit son appel à la prière dans une mosquée bondée. Sur le parvis, Ismail Okur, son directeur, filme le minaret avec son téléphone portable, tout comme un jeune homme, qui se frappe la poitrine du poing, un grand sourire aux lèvres, en grimpant les marches quatre à quatre. A l’étage des femmes, Amani, une jeune jordano-suédoise, sourit, le coeur battant. Pour elle comme pour la majorité des croyants ici, l’appel à la prière public est une avancée historique. « En Jordanie, on l’entendait tout le temps, bien sûr. Alors l’entendre en Suède aussi, où j’habite depuis 7 ans, c’est quelque chose de très fort. »
Dans la foule autour de la mosquée, quelques policiers veillent au grain. Deux représentants du parti d’extrême droite Démocrates Suédois, qui a 20 sièges au parlement depuis 2010, sont aussi venus se rendre compte. Mais la mosquée de Fittja n’est pas dans une zone résidentielle, et le volume de l’Adhan est contrôlé, alors difficile d’invoquer des nuisances sonores comme prétexte pour demander son interdiction. A la municipalité de Botkyrka, la prudence a été de mise. Jens Sjöström, qui s’est occupé du processus, l’explique : « il y a eu un consensus entre tous les partis, — sauf les Démocrates Suédois — pour que cette décision ne soit pas politique et que ça soit la police qui tranche. » Manière pour les politiciens de ne pas se faire piéger dans un débat ultra sensible, aux gains politiques incertains. Mais pendant trois mois, entre novembre et janvier, la commune a organisé des réunions publiques et des débats, pour que s’expriment tous les suédois qui le souhaitent et pour répondre à leurs interrogations légitimes. « Au final, ce ne sont pas les habitants de la commune qui se posaient des questions, nous avons eu des réactions de toute la Suède et même d’autres pays d’Europe ». Emanuel Ksiazkiewicz, son assistant, s’étonne d’avoir reçu un grand nombre d’emails d’organisations d’extrême droite…françaises.
Cette première dans un des pays les plus égalitaires du monde pourrait-elle avoir des répercussions dans d’autres pays d’Europe ?