Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, ont enduré la faim et la soif, ont traversé le désert du Sinaï égyptien pour se retrouver au milieu d’un autre désert, en Israël cette fois, dans le Neguev. En plein milieu d’une étendue rocailleuse sans fin, en zone ultra sécurisée qui comprend un centre de détention pour prisonniers palestiniens et une zone militaire, le centre de Holot a ouvert ses portes en décembre 2013. Israël avait été contraint au préalable par la Cour Suprême à stopper de détenir des demandeurs d’asile politiques jusqu’à 3 ans sans procès. En réaction, l’Etat a transféré ses détenus venus principalement du Soudan et d’Erythrée vers un centre « ouvert ». Ouvert est un bien grand mot : avec trois vérifications d’identité par jour, une absence de contact avec l’extérieur, une absence d’activités, les demandeurs d’asile de Holot connaissent un quotidien éprouvant. D’autant plus qu’Israël permet désormais qu’ils soient détenus sans limite de temps, donc potentiellement à vie, même si en théorie leur incarcération dans des centres fermés doit être réduite à un an. Un climat délétère renforcé par la politique « anti-infiltration » du gouvernement, qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée de migrants africains. Ils seraient 50 000 aujourd’hui dans le pays. En janvier, ils avaient manifesté en masse pour demander des régularisations et contester la criminalisation de l’immigration.
Alors certes les « résidents » de Holot peuvent sortir, mais leur liberté est factice. Le soir venu, ils doivent retourner au centre, qui manque cruellement de couvertures, propose du riz sans âme tous les jours et aucune perspective. Certains ont connu les tortures des kidnapping qui se sont multipliés dans le Sinaï par des groupes armés ces dernières années, montrant les cicatrices qu’il leur reste de ces moments terribles, d’autres ont fui l’Erythrée car ils étaient des opposants politiques. « Israël, on pensait que c’était la démocratie », lâche Habtum, la petite trentaine, qui a été détenu et finalement relâché exceptionnellement après plusieurs mois. « Ma fiancée venait me voir de temps en temps, mais c’était très dur », se rappelle-t-il. Loin d’une quelconque terre promise, c’est entre parenthèse que ces migrants vivent désormais leur vie. Un autre jeune homme, cheveux longs et sourire triste, déserteur de l’Armée erythréenne est formel : même s’il doit en mourir, il rentrera chez lui, il ne restera pas une seconde de plus. Dès qu’il sera sorti d’ici. S’il sort un jour.