(AKA, De la difficulté d’expliquer la propriété intellectuelle, la notion d’oeuvre de l’esprit et le droit d’auteur en 140 signes sur Twitter)

Extrait d’une conversation avec un jeune chef de projet : le tweet initial faisant référence à ce post, une vieille histoire où un auteur de bouquin m’avait traîtée de soixanthuitarde aigrie parce que j’avais l’audace de lui dire que oui, les photos, c’est payant pour les diffuser.

@_jiann : Mais tu cherches pas a être payée deux fois?

Moi : Deux fois ? comment ça ? Un auteur doit recevoir une rémunération pour chaque publication de son travail, c’est tout.

– Trop cool. Donc à chaque fois que je fais un brief je dois être payé?
– #facepalm T’as un salaire à la fin du mois ? Moi non. C’est mes publications/piges/droits d’auteur qui paient mon loyer.
– Je pensais naivement que tu avais été payée pour prendre ces photos en fait. Oh wait…
– Même, ça n’a rien à voir. L’éditeur du bouquin n’est pas le mag qui m’a payé la première publi de 3-4 photos. Et la photo choisie pour le bouquin n’avait même pas été publiée dans le mag. Allez on reprend : une publi = un paiement.
– On est d’accord que c’est en aucun cas un travail perso? Que tu as déjà été payée pour le faire? Donc cette deuxième c’est que du bénéfice. Inattendu, et completment aléatoire? Si oui, on est d’accord que tu demandes à être payée une nouvelle fois, pour un travail déjà fait? J’ai bien compris?
– Oui, un auteur est payé pour chaque publi, pour ses archives, pour des commandes…ça ne change rien, la loi est la même. un photographe vit aussi bien de commandes que de ses archives et de réutilisations de photos à différentes occasion. Un client qui veut utiliser une image paie pour le droit d’utiliser cette image dans un contexte. C’est tout con le droit d’auteur.
– Donc tu demandes a être payée plusieurs fois pour le même travail. C’est bien ce que je dis. Si on suit cette logique, le DA est paye a chaque fois que son affiche est imprimée?
– C’est un raisonnement fallacieux : le droit d’auteur s’applique aux… auteurs. Bingo, comme son nom l’indique. #astuce
– Donc le da n’est pas un auteur? Pourtant il crée du contenu original non?
– Et non : cf Agessa : écrivains, auteurs & compositeurs de musique, auteurs d’oeuvres ciné, photographes : http://bit.ly/PubZP8. Ou bien le DA est auteur MdA, mais je connais très mal : http://www.secuartsgraphiquesetplastiques.org. Note que le principe s’applique aussi à la MdA : “droits d’auteur liés à l’exploitation des Å“uvres (reproduction, diffusion)”
– Je te parle pas de statut juridique (par définition mal fait). Je te parle du fait que, legit ou non, tu trouves pas normal de ne pas être payé pour quelque chose que tu n’as pas a faire (parce que déjà fait). Tu vis sur une rente en fait.
– Hahaha, oui voilà, je suis donc rentière, avec des publis à 100 euros et sans salaire fixe. A moi les putes, la coke et la gloire.

@RenaudCargo : Juste que tu peux vendre ta photo et tu n’as plus de droit dessus, ou vendre le droit de diffusion dans un contexte. Roger Pic grand photographe était propriétaire de ses photos jusqu’à la fin de sa vie. On le payait à chaque diff. Cela se faisait bcp avant et les photographes se faisaient bien avoir (encore plus qu’aujourd’hui ;-) Parce qu’on pouvait justement utiliser leurs photos comme on voulait (sans droit moral) et sans les repayer…

@Countxanax : Les auteurs qui sont payés pour l’édition poche, les musiciens/compositeurs touchant des royalties/droit d’auteur… Ça te choque pas ? Eux aussi ont déjà bossé et sont “rentiers” (sic). Les photographes, c’est différent ?

Moi : Tu gardes toujours ton droit moral dessus, et de toute façon, il est rare de vendre tous ses droits sur une photo. Le paiement à la diff est un énorme progrès. Un jour, je vous parlerai de Françoise Demulder, 1ère femme à gagner le World Press photo, super reconnue. Morte dans la misère d’un cancer. Une belle histoire :/

@_Jiann : Donc tu payes ton imprimeur a chaque expo que tu fais? Tu le payes a chaque photo que tu vends?
– Il est auteur ton imprimeur ? Le mien non, il imprime, je le paie en fonction du volume imprimé.
@Countxanax : Je crois que tu n’as pas vraiment intégré la notion de droit d’auteur et de propriété intellectuelle.
Moi : Voilà *soupir* Mais pas de panique @_jiann, Legifrance est là pour toi : http://bit.ly/hgGZkL

@_jiann : Et bien toi tu as photographié ce qu’on t’a demandé de faire. C’est exactement la même chose. En admettant que tu fasses imprimer tes photos évidement hein. Mais je connais personne qui le fasse pas alors bon..
– non, j’ai photographié un groupe selon ma vision, j’ai CREE quelque chose. Absolument rien à voir avec l’imprimeur. J’ai choisi les lieux, les poses, le moment, la lumière, le placement, l’appareil, l’objectif, le cadre, la focale… La profondeur de champ, la vitesse, la distance… je l’ai fait selon mes goûts, ma personnalité et celle du groupe. Donc, à nouveau, malgré tout le respect que j’ai pour mon labo, ça n’a RIEN à voir. Again, va voir sur Legifrance.
– Je te parle de morale, d’éthique, pas de loi. Tu trouves ça complètement normal d’être payé 2 fois pour 1 job..
– haha, et la morale ça serait que tout le monde fasse de l’argent en publiant tes photos sans te verser un rond ? BRAVO.
– Ah Ouai, donc le labo en fait, il fait qu’appuyer sur “print”? Merde alors…
– il ne créé pas une image. Il n’impose pas de vision artistique. Il m’imprime une photo.
– Justement, il gère des 10aine de contraintes pour rendre ton travail comme tu souhaiterais qu’il soit!
– Et je le respecte et le paie pour ça, c’est un métier important. Mais ce n’est pas pour autant qu’il créé une oeuvre de l’esprit. Sérieux, commence par savoir de quoi tu parles : création, propriété intellectuelle, ce qu’est une oeuvre. Tu n’y connais rien.
– Non, tu te lances dans un jugement de valeur la.. La discussion était intéressante pourtant.
– oui, mais tu ne veux pas entendre. Si tu lisais ce qu’est la propriété intellectuelle, tu comprendrais mieux, la loi, l’éthique…
– Non mais jsais très bien de quoi on parle (doublement en plus!). Je trouve juste la radicalité de ta position absurde. Dans le cas présent, évidement.
– non, je ne suis pas radicale, juste moins démissionnaire que d’autres. Des gens se sont battus pour le droit d’auteur, pour protéger la propriété intellectuelle. Parce que des auteurs qui crèvent la dalle c’est courant, même si certains en vivent [très bien]. Donc il faut faire la différence entre création ou non création d’une oeuvre. Et faire appliquer la loi. C’est aussi simple que ça. Et quand tu compares un imprimeur à un auteur, désolée, mais ça montre que tu n’a pas compris le fond de l’histoire et du problème.
– L’imprimeur imprime un tirage. Tu fais 15 expos. Tu le payes pas a chaque expo. Pourtant son travail a autant de mérite que le tien. Retranscrire ta créativité c’est aussi une forme de créativité ! Je sais pas si je suis très clair.
– oui, il a du mérite, mais son travail est différent. Ce n’est pas la même créativité. La mienne fait une oeuvre, la sienne non. Mon oeuvre existe qu’il l’imprime ou pas… Elle peut être sur mon ordi, dans mon appareil photo, sur ma pellicule… Si je ne créé plus, il n’a plus rien à imprimer. C’est bien là, la différence fondamentale, ce n’est pas un degré de créativité. Tout le monde a plus ou moins de créativité, mais tout le monde ne crée pas d’oeuvre. Une oeuvre de l’esprit va au delà de ça.

Voilà, fin de l’histoire pour l’instant. Je me suis peut-être trompée sur le coup de la MDA, des directeurs artistiques et tout, je connais pas du tout. Si j’avais le courage, j’écrirais un post, un vrai, plein d’arguments et de questions-réponses. Mébon, avec wikipédia et Légifrance, je sais pas trop si ça vaut la peine de résumer encore une fois pour les faignants de la comprenette.

free pussy riot liberté moscou

Free Pussy Riot – Moscou – 10/03/2012

Samedi, un attroupement de jeunes ébouriffés, des gamins pour la plupart, qui roulent et qui roulent joint sur joint. Et quand ils ne roulent pas, c’est qu’ils cherchent de quoi rouler. Des mots d’ordre, un peu, dans la marche qui s’ébranle, de la musique surtout, et des gamins qui marchent, qui dansent, et le nuage de fumée dense aussi au dessus d’eux. Arrivés à la Bibliothèque François Mitterrand, ils s’asseyent tous sur les marches, et roulent et fument et rigolent de plus belle. Pas de discours, ils savent tous pourquoi ils sont là. J’ai la tête qui tourne un peu, ça doit être la fumée, l’odeur de l’herbe un peu partout qui plane au-dessus d’eux.

marche mondiale du cannabis 2012 Paris

Dimanche, autre part dans Paris, ça rigole moins déjà, sous les drapeaux bleus à couronne et fleurs de lys jaunes, même si ça chante aussi, des cantiques à Jeanne d’Arc, voilà pour l’ambiance. C’est pas lugubre non, juste un brin pesant. Un défilé avec un service d’ordre de petits jeunes aux cheveux bien dégagés sur les oreilles, placés tous les vingt mètres, bombers and gants de cuir, ah tiens, rangers aussi. Quelques anciens combattants en bon ordre, que j’observe en me demandant s’ils savent que pas loin d’eux, là, y’a un mec qui s’est fait expulser du FN pour un salut nazi. Je croyais que les anciens combattants avaient fait la guerre contre des types qui faisaient le salut nazi. J’ai dû mal comprendre. Le reste du cortège prie Jeanne d’Arc de “sauver la France”, des rouges, des socialistes, des gauchistes, des écolos, des laïcards, des pédés-gouines-trans, des mécréants, des mères célibataires, des centres IVG, des types qui prient d’autres dieux et qui, aussi sûrement que 2 et 2 font 12, vont remplacer tous les clochers par des mosquées — faut que Jeanne d’Arc sauve la France de tous ceux qui sont pas comme eux. Vaste programme. Je repense aux gamins peace & love de la veille. J’ai la tête qui tourne un peu, ça doit être toute cette haine recuite qui plane au dessus d’eux.

défilé Civitas 2012 a Paris

Juste un week-end ordinaire à Paris.

(Galeries complètes ici et là)

Moscou

Elle est petite, Olga, quand elle marche finalement à côté de son mari, un grand type au visage rond, tous les deux emmitouflés, tous les deux qui se regardent, comme s’il n’y avait pas douze caméras et appareils et micros braqués sur eux, tous les deux qui se sourient, comme si on n’existait plus alors qu’on est bien trop près d’eux, à guetter leurs paroles, tous les deux qui espèrent, et quand ils marchent les vingt mètres de parking jusqu’à l’entrée du tribunal, on s’écarte en shootant, en filmant et je vois leurs regards baissés et la main d’Olga, perdue dans celle de son mari.
Elle est petite Olga, quand elle attend par l’autre sortie, celle du côté du tribunal, le verdict est tombé, putain cinq ans, c’est une fille en larmes qui l’a annoncé il y a une heure, en courant à travers les portillons, puis les portes en bois, jusqu’en haut des escaliers, “Piat liet!! Piat liet!!” Depuis on attend, derrière les barrières, les flics ont sorti leurs chiens, des fois que, la porte en fer va s’ouvrir, et Olga, là, au milieu des grands flics, si nombreux, pour rien, elle a l’air tellement petite. Je surprends son regard et déclenche. Plus tard, la porte va s’ouvrir, ils vont l’emmener, son mari, le grand type au visage rond, le bus grillagé est prêt, ça va être rapide, et voilà il sera parti. Olga restera là, avec une rose rouge à la main, au milieu de leurs soutiens, la petite vingtaine de personnes qu’il reste sur la centaine de tout à l’heure, je verrai ses larmes et je m’éloignerai, sans les photographier.

C’est vrai, c’est paradoxal : à la fois il y a l’envie de faire l’image, propre, cadrée, bien, histoire de ne pas rater le moment, celui que les autres vont avoir, et donc faire la même image que les autres, et à la fois, après avoir raisonné en ces termes, l’envie bien plus forte de justement ne pas faire la même image que les autres. Pas forcément mieux, mais autre. Faire avec les circonstances et là où j’arrive à me placer, et en même temps, rechercher autre chose. Rester. Se détacher. Attendre. Je ne ferai pas nécessairement les mêmes images que les autres, on verra bien…

Nathalie Arthaud lutte ouvriere
Nathalie Arthaud se fait poser un micro, juste avant son meeting. 3 février 2012.

Arlette Laguiller lutte ouvriere
Arlette Laguiller, devant le poster de sa successeure. 3 février 2012.

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