Pour continuer avec les polémiques photographiques récentes, j’ai regardé hier l’émission d’Arrêt sur Images sur le bidonnage d’un reportage étudiant primé par Paris Match et le débat que ça soulevé.
Résumé de l’affaire par , en accès gratuit.
(l’émission est mais c’est payant)

Déjà le discours et le débat soulevé par les étudiants est intéressant, on apprend en plus dans l’émission que ce n’est pas particulièrement Paris Match qu’ils voulaient piéger mais plutôt montrer les rouages du discours médiatique et comment la presse est friande d’images qui répondent à certains codes. D’ailleurs, je crois que vu les images, ils auraient pu piéger n’importe quel hebdo qui aurait fait ce genre de concours, elles ne sont pas si racoleuses que ça, ils auraient pu faire bien pire. Par contre, j’avoue ne pas comprendre le déferlement assez haineux envers Paris Match. Je suis pas franchement adepte de ce mag, trop people et oui, trop racoleur aussi parfois. Mais dans certains numéros que j’ai pu feuilleter, il y avait aussi de bons reportages et de bonnes photos. Je sais pas si la presse qui se soucie un tout petit peu de photojournalisme se porte tellement bien qu’on doive rejeter en bloc des mags qui paient encore un peu pour des reportages essentiellement photos.

L’autre point des étudiants était je crois de montrer qu’on ne fait qu’interpréter la réalité, qu’on bidonne son reportage ou qu’on soit honnête et qu’au final, il est très difficile de dire la différence. L’émission essaie assez moyennement d’établir ces limites, entre la réalité interprétée par une mise en scène et le réel interprété sans recréation. Finalement, il n’y a que le photoreporter Patrick Robert sur le plateau qui est vraiment contre l’initiative des étudiants, parce que oui, ça porte le doute sur toutes les photos qu’on voit et ça décrédibilise une profession qui n’avait pas franchement besoin de ça.

Ce qui m’hallucine, c’est que sur le forum du site, ça se déchaîne à qui mieux mieux contre lui, alors que son propos est plutôt sensé, par exemple quand il dit que le bidonnage et la mise en scène ne sont pas des scoops et que pour un bidonnage, combien de photos “vraies” ? Ou quand il ajoute qu’on sait bien que la recréation, c’est évidemment beaucoup plus facile que de se colleter avec la réalité sans mise en scène, de convaincre les gens, de se faire invisible, et de rapporter des bonnes photos qui racontent une histoire et illustrent un propos.
C’est bizarre de voir sur le forum que pas une personne n’essaie de se mettre à la place d’un photoreporter et des difficultés de son métier alors qu’ils se tapent tous le cul par terre sur les étudiants qui ont bien niqué les vieux de la vieille, haha. Mais le refus de la mise en scène, c’est un risque, c’est les mecs qui veulent bien parler mais ne pas apparaître sur des photos, ou qui refusent après coup, c’est quitter un lieu en sachant qu’on ne pourra pas y revenir et en se demandant si on a assuré, c’est louper des moments, c’est passer du temps en préparation, c’est être dans son sujet tout le temps, c’est être tout le temps sur le qui-vive, c’est provoquer la chance. C’est aussi accepter de n’avoir que son appareil comme prise sur la réalité et se la prendre en pleine gueule. Et je ne parle même pas du reportage de guerre, où il y a les horreurs en plus à encaisser et à essayer de rendre en photos publiables.

Mais le plus choquant dans l’émission, c’est ce moment où Schneidermann doute d’une photo de Robert, sous prétexte qu’il l’a bien cadrée et qu’il suggère plus qu’il ne montre, avec un nounours en premier plan sur les décombres d’un immeuble en Irak et non pas des restes ensanglantés. Je comprends la démarche de douter, mais je trouve terrible l’insinuation que le nounours ait pu avoir été placé là par le photographe. Bien cadrer, trouver le bon angle et le bon moment pour illustrer au mieux un événement, une tragédie, une guerre, ça fait justement partie du job. Si j’ai bien compris, une photo trop percutante, c’est forcément “pour de faux”, mis en scène ?
Si les photographes ne parlent pas tellement d’interprétation du réel mais du raccourci “réel”, c’est peut-être que c’est parce que c’est une évidence qu’on interprète la réalité dont on ne saisit jamais que des bribes et qu’il existe autant de réalités que de photographes sur un même événement.

Et pas mal posent la question : “si une mise en scène illustre mieux le propos, pourquoi ça ne serait pas meilleur que la réalité sans trucage ?” Je veux bien oui, mais c’est pas du tout la même chose et la même démarche. Peut-être je suis bêtement corporatiste, mais quand je lis sur le forum que finalement, “La sincérité réside davantage dans la démarche journalistique du photographe en amont que dans son refus de toute mise en scène ou de tout arrangement du réel lors de la prise de vue”, ça me fait bondir. La sincérité, c’est surtout de dire, comme pour certains reportages TV “reconstitution” quand il y a mise en scène avec des potes ou des comédiens. La sincérité, c’est quand même de ne pas faire passer pour du journalisme ce qui n’en est pas !
Le débat est biaisé de toute façon, parce qu’il est évident qu’aucune photo n’est dépourvue d’ambiguïté, et peut se lire de différentes façons. D’où l’importance de qui la signe et de sa légende. Bien sûr qu’on ne peut jamais croire une photo non signée, non légendée, prétendre le contraire est juste naïf.

D’autres trucs sont abordés dans l’émission, comme l’affaire des faux charniers de Timisoara ou d’une légende mensongère, dans Paris Match justement (une jeune femme avait porté plainte parce que la légende d’une photo la montrant dans le RER entourée de plein de jeunes de banlieue, disait qu’elle n’était pas rassurée. Alors qu’elle n’avais pas peur. Bref). J’ai juste regretté que Genestar et Robert parlent d’une erreur mineure sur cette histoire de légende. Parce que ça me semble important et qu’il ne faut pas minimiser ce genre de trucs, même si ça porte sur une image sur les milliers qui sont publiées par ce mag. C’est important. Il y a déjà une grosse perte de confiance dans les médias, faut pas en rajouter. Proportionnellement, une sur 5000 c’est rien, mais c’est suffisant pour tous ceux qui attendent dans leur coin une raison de hurler “la presse, tous des menteurs et des pourris.”

Pour finir, je ne nie pas qu’il y ait des bidonnages, des légendes mensongères, des mises en scène à des degrés différents, qui ont été vendus comme “réalité” et non “fiction”, ça sera toujours le refuge des mauvais, et il faut les combattre, mais je ne suis pas sûre de comprendre pourquoi on fait de ces étudiants des espèces de David qui auraient terrassé Goliath. Au lieu de se servir de leur action pour dire une bonne fois pour toutes ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ce qui peut être appelé journalisme et ce qui ne peut pas, je trouve que c’est un peu la ruée contre le photojournalisme qui n’avait rien demandé. C’est un peu triste.
Et puis, si le sujet de la précarité étudiante leur tenait tellement à coeur, pourquoi (comme le leur suggère d’ailleurs Patrick Robert) n’ont-ils pas fait un reportage non mis en scène ? ça aurait pas eu plus de force pour leur propos ? C’est sûr qu’on parle plus d’eux comme ça hein, mais au lieu que le débat soit créé sur la précarité étudiante, c’est sur eux et notre rapport aux images que la question se porte. C’est intéressant bien sûr, mais ça montre que finalement, à partir du moment où on créé le doute sur toutes les photos, les histoires racontées passent à la trappe. C’est un peu con.

1 petit commentaire

Wednesday, 8 July 2009

Tr?s bien ce retour Juliette !
Impressions partag?es de mon c?t?…

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