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(Yes, it is, yiiihaaaaaa !)(viendez nombreux les gens !)


Eels – Guest List

Ben voilà, fallait bien que ça m’arrive à nouveau, après deux ans sans pépins techniques, blam, j’ai tout cassé mon vieux 28-70. ça pourrait être pire, j’aurais pu casser un autre obturateur. J’aurais pu me faire chourer mon Leica. Hmm, je peux toujours casser ou me faire voler le reste, note.
M’enfin. ça fait deux fois que je pête du matériel le premier jour ou sur le trajet d’un reportage. La prochaine fois, je me fais désenvouter avant de partir (ça peut toujours servir, pour ça ou autre chose).
Et bien sûr, pas moyen de louer un truc sur place. Tsé, c’est Beyrouth quand même.

Finalement, mon sac est toujours bouclé, même quand rien n’est encore dedans.
Finalement, le chat fait toujours autant le con, que je m’agite à 8h du soir ou à 3h du matin avant le départ.
Finalement, plus ?a va, plus je voyage léger, surtout l’été, va comprendre Charles.
Finalement, plus ?a va, plus c’est n’importe quoi. Sauf nos sujets, ça va de soi.

Il y a trois ans, je me rappelle, j’étais au Kosovo, c’était le jour des législatives, on courait partout entre Mitrovica nord et Mitro sud et strictement rien ne se passait. On déjeunait et on rigolait avec les autres journalistes étrangers. On avait tous fini la soirée au monastère en mode touristes parce qu’il n’y avait rien à dire, juste “c’est compliqué”, comme un statut Facebook à la con. Mais il aurait encore tellement à dire. Il y a trois ans, c’était un peu il y a mille ans…

Bon, le truc le plus dur en fait est de choisir le bouquin — pas trop gros — que je n’aurais absolument pas le temps de lire.
Donc j’hésite. Vaut-il mieux ne pas avoir le temps de lire Shakespeare de Bill Bryson, Generation X de Douglas Coupland ou Slaughterhouse Five de Kurt Vonnegut ?
Saleté de dilemme.
Ok ok, je prends 2 (oui, DEUX) Bill Bryson que je n’aurais pas le temps de lire. Mais c’est juste parce que je suis un brin maso sur les bords.

la piscine de la maison de Samuel Doe a Zwedru, Liberia
La piscine de l’ancienne maison de Samuel Doe à Zwedru – mars 2011

C’est partir en hiver et revenir au printemps. C’est traverser une ville immense à trois heure de mat’ en taxi et tes retrouvailles le cÅ“ur joyeux avec la chaleur, les sons, les odeurs et les lumières. C’est ton premier road-trip de 1000 km à 19 dans le minivan et tes yeux écarquillés en traversant la Guinée malgré tes genoux qui remontent sous le menton. C’est le bruit assourdissant des insectes le soir. Ce sont les longues heures de moto en plein cagnard sur la piste à travers la forêt et les bouffées de fraîcheur qui s’échappent par intermittence des taillis. C’est l’odeur amère, presque âcre, du cacao de contrebande qui inonde la berge au point de passage à la frontière avec la Côte d’Ivoire. C’est ton sourire quand tu demandes si ça va, un peu ? Ce sont leurs sourires quand ils te parlent et leurs visages graves et fatigués quand tu les prends en photo.
C’est la forêt, immense, luxuriante, et la brume du lever du jour qui filtre la lumière. Ce sont vos fou-rires en s’installant pour passer la nuit dans le 4×4 dans le village le plus reculé à la frontière. C’est te poser certains soirs dans les guesthouses, les bières partagées et ta tête qui dodeline de fatigue. C’est ta journaliste, avec qui t’es exactement sur la même longueur d’onde et les réflexions que vous vous faites au même moment. C’est Radiohead qui submerge vos oreilles et les étoiles oubliées, Orion et Cassiopée que tu regardes par la fenêtre pendant que le minivan avale les kilomètres. C’est le plateau de fruites et les sandwiches aux Å“ufs. C’est Salomé Suah et sa tante Etta qui vous chouchoutent à la Angel’s Guesthouse de Ganta.
C’est le flic des stup’ libérien qui se fait son beurre en “aidant” les passagers du minivan aux checkpoints de la frontière et les 12000 francs Guinéens qu’il renonce à te soutirer. C’est apprendre les devises et quand tu finis par jongler sans difficulté entre dollars US et libériens en passant par l’euro et les francs guinéens. C’est ce pique-nique de bananes, pain et viande séchée que tu manges dans un coin dans le noir parce que les villageois et les réfugiés ont faim, et ce gosse de 3 ans qui vient te voir, c’est cet instant de lâcheté où tu ne veux pas avoir de réponse pour lui, c’est trouver des mots malgré tout. C’est apprendre rapidement le prix du pain, de l’essence, du riz et des sachets d’eau minérale. C’est Glenna, la photographe du HCR qui t’embarque avec elle dans son 4×4 pour un trip de 4 jours dans le sud et tout ce qu’elle t’apprend sur le Liberia. C’est préférer prendre la moto à un taxi, malgré la poussière, parce que tu t’y sens bien plus libre et confortable. Ce sont les arrêts en pleine nuit sur les routes guinéennes et te dégourdir les jambes chancelantes et les yeux tout colés de sommeil.
C’est le plan drague foireux d’un militaire guinéen qui pue l’alcool à l’un des 6 checkpoints de la frontière. C’est ce dernier soir à Conakry et les bières offertes par un ancien trafiquant de diamants au Sierra Leone. C’est la vague incongruité de bosser tes photos en écoutant Tame Impala et Jefferson Airplane. Ce sont les premiers mots qu’ils te disent “on a faim”. C’est la deuxième phrase qu’ils te disent “emmenez-nous avec vous”. C’est la tension à ton arrivée et tes explications pour essayer de la désamorcer en douceur. C’est le 4×4 qui s’embourbe sur la piste du retour. C’est le bonheur intense d’une douche froide au seau après une bonne journée de boulot. C’est Laurentine qui se moque gentiment de toi après que t’as appris à piler la pâte de manioc. Ce sont les gamins des villages qui te font des grands hellos et leurs rires quand tu leur réponds.
C’est l’échelle des distances qui va de “pas loin” à “très loin” en passant par “un peu loin” et “pas trop loin”. C’est le dîner des championnes le premier soir à Ganta, fait de figolus, de bière et de barres de céréales, parce que tout est fermé. C’est Ralph qui vous fait inviter à dormir chez le superintendant de la ville parce que la seule guesthouse de Buutuo est prise par le CICR. C’est le pastis local offert par les types de MSF le soir à leur base dans un village. C’est cette jeune réfugiée et son bébé d’une semaine tellement malade et brûlant de fièvre que vous les prenez dans le 4×4 pour revenir à la ville la plus proche à un jour de marche. Ce sont les gosses apathiques, au regard déconnecté qui ont tous le palu.
C’est compter le nombre de passagers dans les transports collectifs que tu prends et rigoler en arrivant à 16 pour une 505 et 26 pour un minivan. C’est la chance que tu travailles sans relâche et qui te fait un clin d’Å“il et un petit sourire aguicheur en coin. Ce sont tes photos dont tu n’entrevois finalement la qualité que dans les regards de ceux qui les voient. Ce sont les couleurs changeantes, la tombée de la nuit toujours aussi rapide et cette demi-heure de lumière incroyable. Ce sont les éclairs qui illuminent la brousse tous les soirs, des décharges d’électricité statique sans tonnerre et sans pluie. C’est arriver couvertes de poussière après avoir dû prendre des motos pour la visite du n°3 de l’ONU au camp de Bahn et le regard incrédule du personnel du HCR en vous voyant. Ce sont les rédac’ chefs qui te promettent-juré-ptiou de te rappeler parce que le sujet est très intéressant et pas couvert et ne le font pas. C’est la frustration de ne pas arriver à faire certaines photos en lumière quasi inexistante, ces instants que tu n’arrives pas à saisir, le doute qui surgit et t’attrape à la gorge, c’est s’éloigner, s’asseoir trois minutes pour ne pas balancer ton appareil par terre, c’est ne pas renoncer, c’est respirer et recommencer jusqu’à ce que tu réussisses — giving yourself the right to get better.
Ce sont les signes que tu apprendre le dernier jour à Conakry pour prendre les taxis collectifs qui sillonnent la ville et les regards mi-amusés, mi-perplexes que les guinéens te lancent. C’est devoir prendre des photos à 6h le dernier matin de reportage, ton épuisement et ta journaliste qui le sent et qui guide ton regard. Ce sont les sachets et bouteilles d’eau que tu donnes à tous les réfugiés que tu croises sur les routes et les pistes. Ce sont les coups de soleil sur le nez et le front masqués par une intéressante couche de poussière orangée. Ce sont les papillons bleu, rouge ou orange vif que tu aperçois dans la forêt et ceux de nuit, sombres, de la taille de petites chauve-souris.
C’est perdre 20 ans en montant dans la peugeot familiale taxi-brousse et savoir que celle de ton enfance roule encore sûrement quelque part en Afrique de l’Ouest. C’est Mariata qui te fait des spaghettis super bons le soir du retour ? N’zérékoré avant que tu reprennes la route le lendemain. Ce sont les pilotes d’hélicoptère sud-africains que tu croises dans la guesthouse d’une ville perdue et vos discussions sur l’Afrique. C’est la patronne de l’hôtel Alvino à Ganta qui essaie de t’arnaquer en te faisant payer très cher une voiture qui ne démarre pas. C’est te faire voler bêtement ton vieux portable débloqué un des derniers jours.
Ce sont les musiques qui te trottent dans la tête par intermittence et qui t’accompagnent doucement pour te faire avancer. C’est l’Afrique qui te fout le cÅ“ur en vrac à chaque fois. C’est apprendre sans cesse et te rendre compte que tes limites sont bien plus loin que tu ne le craignais ou ne l’imaginais. C’est retrouver ta vie, ton confort, tes amis et ta famille la tête pleine de ces regards qui t’ont transpercée.
C’est bouger, inlassablement, histoire de ne pas mourir tout de suite.

Bon, ayé, j’ai enfin légendé, chargé, trié, classé, IPTCé mes photos du Festival de Jazz de Montréal. Donc oui, c’est pas encore le Cachemire, ça arrive.
Alors zou, galerie :


Festival International de Jazz de Montreal – Images by Juliette Robert