J’ai poussé la porte de l’appartement et je suis rentrée dans le vestibule aux allures de bibliothèque. Il se tenait devant une platine vinyle à l’entrée du salon. Il a sourit : “Tu connais The Coasters ?”
– Non, j’ai répondu, je crois pas.
– Attends, tu vas reconnaître.
La bande-son fifties doo wop a résonné dans l’appartement, et effectivement, j’ai reconnu.
Je suis entrée dans la petite cuisine défraîchie et charmante, où elle m’a accueillie avec un grand sourire : “J’ai fait des pêches cuites, tu en veux ?”
J’ai acquiescé. “Assieds-toi alors, tu vas goûter à ma grande cuisine.” Elle est partie de son rire lumineux. C’était contagieux. Le disque des Coasters tournait toujours. Il est entré dans la cuisine et m’a traduit les paroles, très ironiques. Debout, elle fredonnait en mangeant ses pêches au yaourt. Il s’est fait un milkshake aux fruits en continuant à me traduire les paroles. Puis elle m’a raconté les cassettes des soirées dans leur maison du Vermont impossible à chauffer, où le seul moyen d’avoir un peu de chaleur était de danser. Elle a rit à nouveau en fredonnant Poison Ivy, en dansant un peu, pendant qu’il buvait son milkshake en souriant. Le ventilateur à la fenêtre ronronnait, l’air tiède se mélangeait au souffle de gaité qui semblait les suivre au moindre de leurs mouvements.
Elle s’est éclipsée pour se changer, il est revenu dans la cuisine avec un album de Robert Crumb. On a rigolé en regardant ses dessins de Harlem. Elle est réapparue à la porte, prête à partir.
Assise à la petite table de leur cuisine new-yorkaise, je les ai observés attentivement, un gros sourire accroché aux lèvres, en essayant de ne pas en perdre une miette. J’aurais pu les photographier, elle dans sa robe beige et brune et son sourire infectieux, lui en pantalon de velours et chemise blanche en lin et son humour pince-sans-rire.
Ils étaient drôles, ils étaient beaux, ils s’aimaient, c’étaient mes cousins des Amériques et à cette minute, j’ai eu cette pensée fugace, j’aurais dû les photographier, mais comment capture-t-on la magie ?, et à cet instant, j’ai regretté que ça soit déjà mon dernier jour avec eux.
The Coasters – Poison Ivy