happy new yeahr 2012 kashmir

Bonne année à vous, mes deux visiteurs et demi. (un jour je reviendrai les bras chargés de photos) (ouais) (même que) (d’abord) (un jour quoi…)

Conakry, J-1, on atterrit demain, enfin cette nuit. Liberia J-3 ou 4. C’était le rush mais on est contentes de repartir en Afrique de l’ouest. Je te raconterai peut-être si je peux ce que je vois de la vie là-bas, du temps, je te dirai peut-être ce que j’y apprends, j’essaierai peut-être de t’expliquer ce que j’y ressens.
J’essaie de ne pas me retourner, j’essaie de voir de l’avant, je pense aux autres dans mon cas, à ceux qui regardaient aussi toujours en avant, jusqu’à ce que ça soit nous qui emportions leurs visages et leurs images maintenant où nous irons…
Je ne peux pas m’attarder, fais gaffe à toi, qui que tu sois, où tu que tu sois, je te laisse, mon avion m’attend.


Fanfarlo – I’m a Pilot

hampi, india
Hampi – dec 2010

Mais je sais pas bien ce que je retiens de l’Inde. Je sais pas bien ce que j’en remporte. Je sais pas bien non plus ce que ça m’a laissé. Je suis là, immobile, un peu paralysée, j’ai mesuré le vide du retour. Après trois mois au Liban, sur les routes de France et un peu partout en Inde et au Cachemire, les autres jours me pèsent, m’achèvent. Il y a les rues de Pahar Ganj, les nombreuses gares, les longues heures de train, les jambes pendantes dans le vide à la porte, à regarder le paysage défiler, un peu cliché, les cheveux emmélés et un sourire au vent ; les routes défoncées pour aller en Uttar Pradesh, les lacets entre Jammu et Srinagar, les rizières au petit matin près d’Hampi, les rencontres et discussions, tout le temps, il y avait tellement et je ne sais pas tout poser comme ça. Je ne sais pas ce que je retiens de l’Inde. Je revois d’innombrables levers et couchers de soleil orangés, je revois un peu de solitude, enfin, sur des rochers au milieu d’une rivière, je revois des montagnes, je revois des visages, la chaleur de poignées de mains, un regard sous un voile, une promesse que je n’ai pas voulu faire. Mais je ne sais pas bien ce que j’en retiens, je ne sais pas bien ce que j’y ai laissé.
Mais je ne sais pas bien si j’ai fait un peu mieux ou bien un peu moins pire. Je revois la rivière vide à Delhi, les berges de cendres et de fumée, les nuées d’oiseaux et les deux barques, je pense au Styx, je revois la rivière à Baramulla au petit matin noyée dans la brume, je revois enfin le soleil se lever sur la rivière d’Hampi et le bain des habitants. J’ai des visions de Chandni Chowk, le marché aux épices qui nous faisait éternuer et nous filait les larmes aux yeux, les pauses pour boire un tchai sur le bord des trottoirs. J’ai surtout des impressions qui me collent aux yeux de ne plus savoir comment cadrer, comme savoir déclencher au milieu de la foule, capter des mouvements incessants, les visages, les tourbillons de vie.
Mais je sais que j’ai aimé. Peut-être pas chaque seconde, peut-être pas chaque minute ou chaque heure. Même si je n’ai pas une image préférée, une seule à retenir qui serait la plus précieuse à mes yeux, c’est une somme de petits pas et de grands riens. Mais je sais que j’ai aimé. Suffisamment pour n’avoir aucun regret.
Je pourrais dire que j’ai très envie d’y retourner, je pourrais dire qu’il faut que je revois le Cachemire et que j’y passe du temps et ça serait vrai. Pourtant, en y pensant, il n’y a pas ce creux en dedans, l’intérieur qui se tord imperceptiblement, ce souffle qui me manque, ce battement de cœur qui s’échappe, une fraction de seconde, un reste d’adrénaline, un rien, ce rien à l’idée de retourner en Afrique de l’ouest dans une semaine. C’est comme àa.

Je me suis promis d’essayer. Au moins d’essayer. De penser autant à mes ici qu’à mes là-bas. Je ne te dis pas que c’est facile. Mais ailleurs, j’ai aussi appris à ne pas avoir peur.


Mademoiselle K – Me taire te plaire

road in kashmir juliette robert

Cachemire, faudrait qu’on se revoit toi et moi. C’est comme ça. Je pourrais trouver des milliers de raisons mais j’en ai pas besoin, des fois, ça s’explique pas. Tu le sais aussi bien que moi, que c’est comme ça. Et qu’on se reverra.
Pourtant, Cachemire, putain t’avais froid. T’avais froid au ciel pâle le soir et à tes terrasses de rizières, t’avais froid aux peupliers qui bordaient la route jusqu’à Srinagar, t’avais froid à la rivière turquoise qui dévalait ta vallée, t’avais froid jusqu’au bout de mes doigts. Malgré ça, t’avais un ciel bleu immaculé dans lequel des aigles batifolaient et la nuit, des milliards d’étoiles oubliées. Cachemire, ta brume ne te quittait jamais vraiment, elle s’accrochait au fond de tes vallons, et le soir, montait de la rivière, noyait les barques qui faisaient la navette entre les rives et coagulait sur les berges, au creux des arbres, entre les pierres, pour se déchirer en lambeaux sur les routes et jusqu’aux villages perchés à flanc de montagne. Chaque contre-jour aveuglant ciselait les cimes et les rocs, chaque tournant redessinait le paysage à grand coup d’estompes qui laissaient l’horizon ni tout à fait gris, ni tout à fait blanc. Et pendant la journée, les échos des chants des muezzins rebondissaient dans la ville et enluminaient la vallée. Cachemire, ton soleil tiède tombait rapidement derrière les montagnes et la nuit dans la lumière des phares, on ne voyait plus que les silhouettes fantomatiques de tes habitants en phiran le long des routes. Tes magasins fermaient tous avec la nuit mais c’était vraiment pas ta faute le couvre-feu. Ou les checkpoints un peu partout en rase campagne. Faut dire que t’avais les 4/5 de l’armée indienne sur le dos — des militaires, sur chaque talus, à tous les coins de route, sur la moitié des toits de la ville, y’en avait quinze. Cachemire, t’avais si froid, c’était bien fait pour eux. Et quand tes gosses leur jetaient pas des pierres, ils jouaient au cricket au soleil dans les rizières glacées. Quand on les croisait dans les villages, j’aimais bien leur regard farouche, le genre qu’il faut apprivoiser. Cachemire, il y a des regards perçants que je n’oublierai pas. Et je n’ai pas besoin de photos pour me souvenir de tes habitants, de leurs yeux clairs, de leurs salam aleikoum chantants, de leur sourires las, oui mais sourires malgré tout, ou de leurs larmes.

Cachemire tu le sais bien, faudra qu’on se revoit toi et moi, j’ai pas tout dit, j’ai pas tout écrit. ça sera peut-être un printemps ou un été. Là c’était l’hiver et t’avais froid, jusque dans la salle d’eau où on ne pouvait faire qu’une toilette de chat avec le peu d’eau chaude, jusque dans la cuisine où la radio crachotait les infos pendant qu’on mangeait les chapatis tout chauds le matin ; et le soir, blottis tous les cinq en rond sous les couvertures, quand on rigolait, quand A. chantait en kashmiri ou qu’on lui apprenait à jouer à pierre/feuille/ciseaux, quand je faisais écouter du Graeme Allwright ou du Mademoiselle K, parce que c’est tout ce que j’avais comme musique en français sur moi et que je leur traduisais, quand on dînait avec les doigts, qu’on discutait politique ou mariages d’amour vs. mariages arrangés ou qu’on essayait de tirer trois accords au vieil harmonium entre deux éclats de rire, ça n’avait pas beaucoup d’importance qu’il fasse douze ou moins trois. Cachemire, t’avais froid mais moi, j’ai jamais vraiment eu froid, tu vois ? Et chez chaque famille qu’on a visitée, il y avait toujours un kangri à se partager, il y avait toujours un tchai brûlant et des biscuits. Alors tu vois, c’est aussi pour ça qu’il faut qu’on se revoit et que c’est comme ça. Cachemire, il y a des sourires, fugaces, timides, étincelants ou mélancoliques, que je n’oublierai pas.


Graeme Allwright – Vagabonde

Juste après, je me suis retournée, ça a été très bref.
J’ai regardé, d’abord loin et puis bien plus près. Il y avait des trucs vraiment bien et une ou deux conneries aussi. c’était là et ça s’effaçait déjà, c’était un peu comme un au-revoir.
J’ai souri.
Et je suis repartie.