south africa langa

La cour d’un hostel – Langa (township près du Cap) – 04.09

Bon sinon, notre projet super beau est finito et comme d’hab, faut le montrer et le vendre. Comme d’hab on croit à notre truc. Comme d’hab on a des pistes et des contacts. Comme d’hab… erf, j’écris pas à quoi je pense là, sinon je vais nous porter la poisse.
Et je suis en train de finir le portfolio de la mort qui tue en pdf, je pars sur 15 images pour l’instant, idéalement 10 mais on verra. Que du noir et blanc. Que des trucs qui me font vibrer.
Parce que hein bon, ça suffit les conneries et les concessions.


Lullabye Arkestra – All I Can Give You

On regardait cette vidéo du photographe JR, le cul posé dans les fauteuils rouges de l’auditorium de la MEP, après une bonne journée de merde dans une semaine moche. Et puis par bribes ou par flash, ça m’est revenu dans le désordre. Les grandes artères poussiéreuses de Cotonou et leur flot continu de voitures bringuebalantes et de zems. Les chemins de brousse et les écoliers en uniformes avant la tombée de la nuit. Les femmes malades à Jabulani et leurs sourires tristes. Les gosses de Langa, ceux qui jouent au cricket dans les rues ou les trois petits qui se battent pour nous tenir la main en traversant les allées entre les hostels délabrés. Les éclaboussures orangées sur les visages à Comè au coucher du soleil. La traversée en pirogue pour rejoindre la forêt sacrée de Djanglanmey. La balade avec Oliver ou plutôt Pule, “pluie”, dans les rues de Meadowlands et son sourire en me faisant monter pour la première fois dans un taxi minivan bondé. Le vent la nuit, dans les palmiers sur la plage de Grand Popo et l’océan qui mugit à mes pieds. Les ruelles du marché de Cotonou et les rires des vendeuses. Les centaines de kilomètres sur les routes défoncées et tous les villages traversés. Hillbrow et les hymnes de la messe de Pâques à Central Church. Le sourire éclatant de Béné quand elle entonne les chants vaudous en battant la mesure avec ses deux clochettes. Les vendeuses de têtes de mouton grillées au feu de bois de Langa et leur visage recouvert d’onguent orange pour protéger leur peau de la chaleur. Les choeurs des hommes au Jeppe Hostel. La route droite et déserte au milieu des plantations de bananes.
Juste des bouts comme ça et plein de visages que j’ai toujours en tête mais auxquels je ne pensais plus vraiment. Tous ces trucs différents d’un bout à l’autre d’un continent et pourtant parfois similaires. Peut-être cette terre orange, chemins serpentant dans la brousse autour d’Atogo, route en train d’être goudronnée vers Doutou ou le contraste avec les gerbes et couronnes vertes, bleues, violettes, sur les tombes à peine refermées du gigantesque cimetière d’Avalon à Soweto.
Je me suis penchée sur le côté et j’ai chuchoté, avec un truc bizarre dans la gorge, ça me manque.
Elle a sourit, oui, moi aussi.

langa
Vendeuse de têtes de moutons grillées, Langa. 04.09


BO Babel

La nuit est tombée tout d’un coup, en trois ou quatre photos, un peu comme une enclume silencieuse qui ferait juste un petit poc. Il faisait jour et puis une photo plus tard, l’autofocus patinait et j’étais ? 1.4. Encore deux photos et quand j’ai relevé le nez de mon viseur, il faisait nuit noire. C’était ma première soirée béninoise et j’avais déjà les yeux plein de cette terre ocre-orangée et du contraste avec le vert des bananeraies et des manguiers. En moins de vingt-quatre heures, je m’étais déjà emmêlée les pinceaux dans le protocole en étant présentée à deux rois, j’avais déjà assisté à un rituel vaudou auquel je ne comprenais rien et censé donner force et vigueur, dans une case minuscule où? une prêtresse m’avait fait boire une eau étrange et j’étais déjà un peu impressionnée par le masque géant du Zangbeto du village de Doutou.
C’était le premier jour et j’ai surtout noté que la nuit tombait trop vite, un peu comme une enclume silencieuse qui ferait un petit poc.

bénin adepte zangbeto doutou
Un adepte du Zangbeto – Doutou, 09.01.2009

Le deuxième jour reste comme celui où Simone est tombée en rade après environ 72521 photos en 4 ans et m’a laissée en plan avec une fête vaudoue à peine entamée sur les bras à couvrir au 35 ou 40mm, ce qui est un peu court. Cela étant, Simone a eu le bon goût de rendre l’âme après le sacrifice rituel d’une vierge (ahem, une chèvre vierge) mais avant le défilé des communautés d’adeptes. Passée la rage qui a su retenir les larmes de dépit, en sueur et couverte de poussière, il a fallu accepter le noir et blanc dans des conditions qui hurlaient à la couleur, aux rouges violents, aux violets éclatants, aux verts tranchants, dans une mer orange.
Le deuxième jour, Simone m’a lâchée et j’ai eu chaud et j’ai eu le tournis, j’ai eu mal au ventre et envie de pleurer au beau milieu de gens qui dansaient et chantaient dans une orgie de soleil et de couleurs, comme quoi, on peut pas tout contrôler.

bénin fête du vaudou 2009 com?
Danses vaudoues – F?te des cultes Vaudous à Comè, 10.01.2009

Enfin bref, tout ça pour dire que je commence enfin à mettre des photos de vaudou sur mon site, par là, que c’est du noir et blanc par choix drastique et que la sélection fut draconienne selon des critères évidemment pas forcément objectifs mais qui se tiennent au moins un petit peu.


Hrsta – Une infinité de trous en formes d’hommes

kukaljane kosovo
Kukaljane – 05.2009

J’aime pas les retours, même si ça fait du bien de retrouver un environnement familier. J’aime pas cet arrêt net, même si je bosse sur deux projets faits en Afrique du Sud qui sont/vont être super beaux. J’aime pas l’ennui d’être chez soi, même s’il y a 50000 trucs à faire, transférer les photos d’un ordi à l’autre, écrire des mails, archiver, classer, porter des films au labo, dormir. J’aime pas cette régularité, même si ça aide à résorber la fatigue accumulée depuis un bon mois. J’aime pas les retours, même si revoir tous les visages amis a quelque chose de rassurant. Quand tu planes en altitude, où chaque jour est différent, où tu donnes et reçois tellement, où tu tires l’énergie de tout ce que tu découvres, jusqu’aux limites de l’épuisement total, la redescente créé comme un grand trou béant. Violent. Continuer à créer n’y change rien, tu vois toujours ces moments, ces bribes, sons, mots, ces morceaux d’images accrochés au bout de tes doigts, des trucs insaisissables et ineffaçables.
Et comme un gros point d’interrogation à l’horizon : et maintenant ? et après, on fait quoi ? Continuer le mouvement, des fois que si tu te poses juste une seconde, tu meures dans l’instant et tes belles histoires avec. Et maintenant ? Et les doutes ? Profiter de l’élan pour voir un peu plus loin, des fois que tu te prennes les pieds dans tes angoisses si tu ne jettes qu’un seul regard en contrebas.
Plus là-bas mais pas tout à fait ici, toujours en recherche d’un nouvel ailleurs. Et deux très beaux projets qui sont bien là avant de repartir. Faut juste trouver comment être ici, pleinement, en attendant, puisque personne ne me l’apprend…


This Will Destroy You – The Move on the Tracks of Neverending Light

afrique du sud cap de bonne esp?rance

Cap de Bonne Espérance – 25.04.2009
(je sais, j’ai une sale tronche sur cette photo mais bon…)

Paris, à 1 mètre de mon lit, enfin. Après 24h passées dans trois aéroports et deux avions différents. Vingt jours assez intenses et dedans, un jour off pour voir des lions et des rhinocéros, une matinée touriste au Cap de Bonne Espérance juste avant de reprendre l’avion et une aprèm vaseuse sous la pluie au Cap. Le reste, c’est la pagaille, de l’arrivée à Joburg pour enchaîner direct sur un reportage dans un commissariat aux photos dans des townships, des discussions de boulot qui ne s’arrêtent jamais aux visites de no man’s lands radioactifs, des mecs qui te parlent comme si t’étais une bouée de sauvetage aux sourires de malades qui te remercient d’être venu…
J’ai fait un film et demi en noir et blanc, la lose pour qui se la pète avec son leica plaqué formica. J’ai été frustrée, au début et pendant un moment, pas assez de temps pour faire le tour des sujets, et beaucoup trop de temps passé à essayer de s’acclimater un peu. Trop de paranoïas et de peurs dans l’atmosphère, trop de murs et de barbelés pour saisir quelques instants de vérité. Tous les jours, je me disais que je ne faisais rien, que c’était moche et pas assez. Et puis d’un coup, un des reportages m’a pété aux yeux. Comme par hasard, c’est celui qui m’a demandé le plus émotionnellement. Le plus d’écoute, le plus de murs intérieurs à surmonter. Il n’est pas complet, il n’est pas aussi bien que je l’aurais aimé, mais c’est le point le plus proche de là où j’ai toujours voulu être.
J’aurais voulu du temps, mais du temps, il n’y en a pas, il n’y en a jamais assez. C’est ça la réalisation la plus dure, quand on ne peut pas prendre le temps, ce sont les photos qu’il faut extirper.
Tout le reste, c’était bien aussi oui, vraiment bien.


Woodpigeon – Oberkampf

“So tell me about where you’ve been, where you’re going, where you’ll be, how will I know it ?”