Comme une boule d’angoisse au creux de l’estomac, à force de tourner en rond, ça se noue en tourbillons là-dedans. Trop de compromis pour pas beaucoup de résultats et un vieux sentiment de gâchis. Je rigolais en disant que j’avais quasi pas fait de noir et blanc en Afrique du Sud ou au Kosovo récemment, mais je rigolais jaune. Le fait est que j’ai pas voulu choisir alors j’ai mal choisi et ça me bouffe. Mais reste le doute que même si j’avais dégainé mon leica plus souvent, j’aurais sans doute pas fait mieux, même en faisant différent. Quoique. J’aurais quand même voulu faire différent. ça et avoir du temps au lieu de partir dans tous les sens parce que merde, faut rentabiliser et que j’ai pas les moyens de faire autrement. Pas fait assez, pas fait assez bien. Ni fait ni à faire quoi. Je suis arrivée là où je suis, pas très loin quoi, en regardant les photos dans des bouquins ou des magazines et tout le reste c’est du feeling, deux temps trois mouvements vu qu’il n’y a jamais le temps, pas de pause, pas de poses non plus, et hop. J’ai jamais contacté ou rencontré les photographes qui me font baver, j’ai pas refait de formation par manque de moyens, j’ai surnagé dans mon coin en lisant du Depardon. L’écriture d’un reportage, le regard, l’identité, les images que j’ai dans la tête, tout ça j’essaie d’apprendre sur le tas, en faisant comme je peux sans arriver à inventer. Mais c’est tellement loin d’être assez.
Alors je bute sur mes limites et pour la première fois depuis 10 ans, je me dis merde, et si c’était vraiment mes limites ? Pas genre un palier à franchir, pas d’excuses à la con de manque de temps ou de manque d’argent, pas de fausses raisons de cible, pas de tergiversations style j’ai pas su choisir mais la prochaine fois je saurais, non, boum, la limite, le mur quoi. Et l’angoisse face à la hauteur, au manque de prises et d’entraînement. Oh je pourrais rester de ce côté, c’est pas trop difficile, plutôt tranquille même à défaut de me faire bander. Sauf que c’est la grimpette qui me fait tripper et moi, je suis pas assez.

Un jour, ma mère m’a écrit ça :
“If parents do the right thing, they have to teach you that a dream has to be more than a dream, it has to be about getting up in the morning and staying late, accepting that you’re not good at the beginning but that you’ll get better, and giving yourself the right to get better.”
C’était il y 10 ans.

benin atogo vaudou
Une vodounsi d’Atogo – 01.09

Bon allez, celle-là je l’aime bien même si elle est pas… ahem… faudrait que j’apprenne à avoir le cuir plus dur quand je me fait bouler des rédactions ou je vais me bouffer tout cru et j’aurais plus qu’à changer de métier et je serais bien attrapée.

On regardait cette vidéo du photographe JR, le cul posé dans les fauteuils rouges de l’auditorium de la MEP, après une bonne journée de merde dans une semaine moche. Et puis par bribes ou par flash, ça m’est revenu dans le désordre. Les grandes artères poussiéreuses de Cotonou et leur flot continu de voitures bringuebalantes et de zems. Les chemins de brousse et les écoliers en uniformes avant la tombée de la nuit. Les femmes malades à Jabulani et leurs sourires tristes. Les gosses de Langa, ceux qui jouent au cricket dans les rues ou les trois petits qui se battent pour nous tenir la main en traversant les allées entre les hostels délabrés. Les éclaboussures orangées sur les visages à Comè au coucher du soleil. La traversée en pirogue pour rejoindre la forêt sacrée de Djanglanmey. La balade avec Oliver ou plutôt Pule, “pluie”, dans les rues de Meadowlands et son sourire en me faisant monter pour la première fois dans un taxi minivan bondé. Le vent la nuit, dans les palmiers sur la plage de Grand Popo et l’océan qui mugit à mes pieds. Les ruelles du marché de Cotonou et les rires des vendeuses. Les centaines de kilomètres sur les routes défoncées et tous les villages traversés. Hillbrow et les hymnes de la messe de Pâques à Central Church. Le sourire éclatant de Béné quand elle entonne les chants vaudous en battant la mesure avec ses deux clochettes. Les vendeuses de têtes de mouton grillées au feu de bois de Langa et leur visage recouvert d’onguent orange pour protéger leur peau de la chaleur. Les choeurs des hommes au Jeppe Hostel. La route droite et déserte au milieu des plantations de bananes.
Juste des bouts comme ça et plein de visages que j’ai toujours en tête mais auxquels je ne pensais plus vraiment. Tous ces trucs différents d’un bout à l’autre d’un continent et pourtant parfois similaires. Peut-être cette terre orange, chemins serpentant dans la brousse autour d’Atogo, route en train d’être goudronnée vers Doutou ou le contraste avec les gerbes et couronnes vertes, bleues, violettes, sur les tombes à peine refermées du gigantesque cimetière d’Avalon à Soweto.
Je me suis penchée sur le côté et j’ai chuchoté, avec un truc bizarre dans la gorge, ça me manque.
Elle a sourit, oui, moi aussi.

langa
Vendeuse de têtes de moutons grillées, Langa. 04.09


BO Babel

Bon à part ça, entre deux coups de marteau ou de tournevis pour finaliser un nouveau projet en cours de bricolage (même qu’on a bien hâte que ça soit fini parce que ça devrait être Bien, voire — diantre — Beau, vi vi vi), prendre le temps d’aller voir par ici ou par là ou encore par là-bas ce qui se fait de bien en photo sur internet :

Reuters : Bearing Witness
Rétrospective de 5 ans de guerre en Irak par les journalistes de Reuters. Un paquet d’images choc, photos et vidéos, une timeline…

Lens : blog de photojournalisme du NY Times
intéressant, surtout le diaporama sonore d’un photographe “embedded” du NYT en Afghanistan.
Encore mieux, ils livrent des articles et interviews “behind the scene”, enfin dit comme ça, ça fait un peu bonus de DVD mais c’est bien.

MediaStorm
Du reportage multimédia de fond. pas genre un vieux slideshow de deux minutes avec des photos bateaux au fin fond du site d’un quotidien ou hebdo, mais des sujets de 10 ? 20 minutes avec des photos de dingue. Prends ta claque. Quand je serais grande, on sera copains, eux et moi.

Voyage au bout du charbon – Samuel Bollendorf
web-docu interactif. je suis pas archi fan du concept, mais ça mérite réflexion.

Blog photo du Wall Street Journal
Même concept que The Big Picture, du Boston Globe. Même type de photos d’agence qui déchirent en grand format.

Territoires de fiction
ça fait deux ans que ça existe, mais il y a toujours des trucs à re(découvrir) là-dedans, niveau montage, mixage des sons et tout, même si c’est un poil trop conceptuel pour moi.

Hans Lucas
Par ceux qui ont initiés Territoires de Fiction justement. Je serais bien allée voir ce que ça donne, leurs productions et tout, mais j’ai jamais reçu mon mot de passe. Je comprends pas les sites avec mot de passe d’ailleurs.

Sinon, rien d’innovant du côté du site du National Geographic, on aurait pu croire et puis non. bien sûr, on peut aussi citer le blog de Magnum (nan pas le moustachu, l’autre), mais c’est encore assez classique.

Et puis, si vous avez des idées de trucs beaux et/ou innovants, n’hésitez pas à me dire…

Edit : on peut aussi ajouter les webdocumentaires d’Upian :
Thanatorama et La Cité des Mortes.

Ah putain l’ironie. de ces endroits où t’es pas et où il se passe des trucs sans toi. parce qu’il est trop tard. et parce que oui mais non. la putain d’ironie.
A 3h du mat’ se taper un trip sur killing in the name of, je me rappelle de ces soirées au Truskel, quand on était derrière les platines, le sourire entendu et carnassier, tiens t’es prête, ouais, balance, qu’on rigole. et ? 3h du mat’ se taper un trip avec toutes les paroles par coeur sur killing in the name of, à moitié déchirée déjà.
j’ai descendu la rue de belleville en slalomant, c’était bon, y’avait tellement longtemps. après Pyrénées, il y avait un bout de jeu de cartes par terre que j’ai ramassé, vacillante. deux de coeur — mauvais signe, le coeur –, deux de carreau, six de pique, six de coeur — merde, ça me poursuit cette connerie — trois de trèfle, quatre de coeur — lâchez moi, merci — trois de coeur — ah putain, l’ironie, encore — cinq de pique, je ramasse dans l’ordre, quatre de pique, trois de pique j’ai presque une suite mais j’avais pas remarqué sur le coup, trois de carreau, et les têtes alors, merde !; cinq de trèfle, six de carreau, deux de pique, heureusement que je joue pas ma vie au poker là, cinq de trèfle, quatre de carreau, deux de coeur, à vous l’honneur, putain d’ironie, deux de carreau, six de pique, six de coeur, va te faire foutre, trois de trèfle, mais combien j’ai ramassé de cartes par terre ?, quatre et trois de coeur, cinq de pique. et voilà. j’ai pas ramassé celles qui avaient le dos bleu. et pas de dame de coeur ni rien, la lose. j’ai ramassé des cartes de merde, c’est comme ça, en même temps, en slalomant, on ramasse ce qu’on peut. on n’est pas obligé d’y croire, aux cartes, aux trois as qui déboulent de nulle part dans des tarots faussés qu’on lit en faisant semblant d’y croire, des fois que.
je descends la rue de belleville, elle fait une tonne de kilomètres, je pense au truskel, à la péniche concorde atlantique, au neuf billards, je suis là mais je suis pas vraiment là, te méprends pas, ouais balance ton truc sexy, je ferais semblant, allez va, j’aimerais bien y croire mais au fond non, je peux pas y croire et faut croire que j’avais bien raison. j’attendrais le jour. la rue de belleville fait vraiment une demi tonne de kilomètres, je tourne dans la rue louis bonnet et je repense à l’ironie, là, à chaque tournant, je me marre, en donnant des coups de poing dans les rétros qui dépassent. merde je pisse le sang, bien fait. j’aurais bien sautillé sur noir désir et ces tapettes de nirvana, c’est pas de moi, c’est dans the wrestler, je suis pas originale tu croyais quoi. je prends la rue de l’orillon et la rue st maur, et puis la rue jean pierre timbaud et puis je suis presque chez moi. je zigzague et merde c’est tellement bon, il faut presque jour, j’avais tellement oublié ça, rentrer au petit jour. je me suis emmerdée, à faire des trucs beaux et sérieux, je vais remettre ça à demain, les trucs qui valent le coup, pour deux minutes j’aimerais oublier et errer et voir le jour se lever, ça fait tellement longtemps, ça fait depuis avant, il y a mille ans. c’était l’époque où on regardait l’aube depuis le haut de montmartre mais maintenant que veux-tu, on a tous plus ou moins oublié, moi je veux plus penser à mes nuits blanches d’un été où j’avais cru que les sentiments c’était ouais youpi, mais c’est rien à côté de ceux qui ont oublié leurs rêves connement, parce que ouais mais bon, on a acheté un appartement tu vois ? non je vois pas, je comprends pas, j’aime autant descendre la rue de belleville en slalom et en chantant à tue-tête tu vois. non tu vois pas, c’est con, voilà il fait jour et je vois ça de ma fenêtre au 7e étage et j’apprécie, bêtement.
j’ai fait trop de trucs sérieux et j’ai aimé ça et j’y crois encore, tu vois. pourtant, j’aime bien descendre la rue de belleville en slalomant parce que c’est comme ça, je marche pas droit, en pensant à des conneries, à l’ironie, à la route avec Eiffel il y a mille ans, à s’en déchirer les oreilles tellement c’était bon, aux endroits où t’es pas et où t’aimerais être sauf que oui mais non.
c’est comme ça, il est même pas 6h et il fait jour, la dernière fois que j’ai regardé le jour se lever comme ça, c’était il y a environ 7 ans, me dis pas que le temps passe vite, c’est toi qui l’a décidé, pas moi, moi je pense à l’ironie et je rigole, si tu savais.
si tu savais.


Fountains of Wayne – For No Better Place

– heeey salut, ça fait une paie !!
– heeey ! ben ouais, grave ! ça va ?
*biz* *biz*
– ouais ouais, on revient de Las Vegas avec V., on s’est bien marré, il s’est éclaté en photo.
– ah cool ça ! J’espère qu’il a pas trop galéré avec ses cartes mémoires, j’avais pas eu le temps de lui rendre sa 4Go avant de partir au Kosovo après l’Afrique du Sud..
– au Kosovo ? C’est mortel ça !
– ouais, c’était vraiment chouette, on était au fin fond des montagnes. Trop bien. Là on essaie de le vendre, on a des plans avec des grosses rédacs intéressées, mais personne se décide… Et toi, tu deviens quoi ?
– Ben, je suis plus à Grosse radio, je suis à Autre Grosse Radio maintenant.
– ah génial, ça le fait ?
– ouais, c’est bien différent ce que je faisais avant, là je suis parti deux fois en Afghanistan, et puis en Italie pour le séisme.
– Wow, en Afghanistan…
– Et toi, l’Afrique du Sud… ça devait être mortel, j’ai plein de potes qui y vont en ce moment..
– Grave. On a fait plein de sujets autour des élections, là on vient d’en publier un sur les réfugiés zimbabwéens à Central Church à Joburg…
– Ah ouais, c’est génial ce que tu fais !
– Yéé ! C’est vrai que ça fait du bien de faire autre chose, j’adore les concerts et tout hein, mais…
– … ouais y’a pas à dire, la presse musicale, c’est super, c’est la cerise sur le gâteau mais le… *se tapote le bras*
– le fix…
– … le fix oui, c’est le reste.
– ouais, grave.

afrique du sud johannesburg central church
Le soir à la Central Methodist Church de Johannesburg qui accueille plusieurs centaines de réfugiés zimbabwéens. Avril 2009


Sparklehorse & Danger Mouse – Insane Lullaby