La nuit est tombée tout d’un coup, en trois ou quatre photos, un peu comme une enclume silencieuse qui ferait juste un petit poc. Il faisait jour et puis une photo plus tard, l’autofocus patinait et j’étais ? 1.4. Encore deux photos et quand j’ai relevé le nez de mon viseur, il faisait nuit noire. C’était ma première soirée béninoise et j’avais déjà les yeux plein de cette terre ocre-orangée et du contraste avec le vert des bananeraies et des manguiers. En moins de vingt-quatre heures, je m’étais déjà emmêlée les pinceaux dans le protocole en étant présentée à deux rois, j’avais déjà assisté à un rituel vaudou auquel je ne comprenais rien et censé donner force et vigueur, dans une case minuscule où? une prêtresse m’avait fait boire une eau étrange et j’étais déjà un peu impressionnée par le masque géant du Zangbeto du village de Doutou.
C’était le premier jour et j’ai surtout noté que la nuit tombait trop vite, un peu comme une enclume silencieuse qui ferait un petit poc.

bénin adepte zangbeto doutou
Un adepte du Zangbeto – Doutou, 09.01.2009

Le deuxième jour reste comme celui où Simone est tombée en rade après environ 72521 photos en 4 ans et m’a laissée en plan avec une fête vaudoue à peine entamée sur les bras à couvrir au 35 ou 40mm, ce qui est un peu court. Cela étant, Simone a eu le bon goût de rendre l’âme après le sacrifice rituel d’une vierge (ahem, une chèvre vierge) mais avant le défilé des communautés d’adeptes. Passée la rage qui a su retenir les larmes de dépit, en sueur et couverte de poussière, il a fallu accepter le noir et blanc dans des conditions qui hurlaient à la couleur, aux rouges violents, aux violets éclatants, aux verts tranchants, dans une mer orange.
Le deuxième jour, Simone m’a lâchée et j’ai eu chaud et j’ai eu le tournis, j’ai eu mal au ventre et envie de pleurer au beau milieu de gens qui dansaient et chantaient dans une orgie de soleil et de couleurs, comme quoi, on peut pas tout contrôler.

bénin fête du vaudou 2009 com?
Danses vaudoues – F?te des cultes Vaudous à Comè, 10.01.2009

Enfin bref, tout ça pour dire que je commence enfin à mettre des photos de vaudou sur mon site, par là, que c’est du noir et blanc par choix drastique et que la sélection fut draconienne selon des critères évidemment pas forcément objectifs mais qui se tiennent au moins un petit peu.


Hrsta – Une infinité de trous en formes d’hommes

On connait pas mal de trucs sur le métier de photographe et de photographe de concert, mais ce qu’on connait moins, ce sont les conditions de travail de certains appareils photo et objectifs qui se retrouvent bien souvent en congés maladie prolongés. alors aujourd’hui, nous allons tenter de lever le voile sur des pratiques honteuses en recevant un capteur CMOS de Canon 20D, le mien donc, venu nous parler de ses conditions très difficiles.

– Simone*, bonjour
– Bonjour
– Vous êtes venue vous exprimer sur votre travail au quotidien, qui n’est pas une sinécure..
– ah oui, et c’est rien de le dire. C’est bien simple, j’en peux pu ! Je suis usée, vieillie, fatiguée, je vous jure, faire de la photo de concert, c’est pas une vie ! j’envie mes collègues qui font de la photo au grand jour, vraiment.
– ah bon ? expliquez-nous ça.
– ah bah c’est bien simple, moi je fais quasi que des photos dans le noir. Alors bon, ça pourrait être vivable encore mais j’ai jamais le droit à un peu d’aide de Jean-Bernard, le flash. Et même, je pourrais faire des portraits à peu près bien éclairés, notez bien, mais non ! Moi ce que je prends, c’est des spots de douze mille watts dans la face en permanence, rapport à ce que ça serait plus “funky”, ou plus esthétique ou plus original ou je ne sais quoi. alors j’vous l’demande, comment travailler sérieusement dans ces conditions hein ? enfin, heureusement j’ai ma conscience professionnelle pour moi, on a sa dignité ! mais des fois, j’ai vraiment envie de mettre mes pixels en grève, mais si je faisais ça, je me ferais virer aussi sec alors vous comprenez… Alors j’ai essayé de revendiquer en cradant un peu des photos sous-exposées mais avec les progrès de photoshop maintenant, ça sert pu à rien de protester ou de rajouter du grain. et puis y parait que c’est “esthétique”, qu’est-ce que vous voulez faire dans ces conditions ?
– ah oui, je vois. un petit exemple pour nous montrer à tous ce que vous subissez ?
– ah ben voilà, dernier exemple en date : Mademoiselle K à l’Olympia. au début ça avait bien commencé pourtant, y’avait pas trop de lumière, je faisais de mon mieux et puis d’un coup, blam, j’ai encore tout pris dans la figure. je vous jure, j’en peux pu, j’en peux vraiment pu, je suis au bout du rouleau là. *snurfl*

mademoiselle K - olympia paris

– ah oui en effet, on comprend tout de suite mieux, Simone, et on est de tout cÅ“ur avec vous. Mais tous ensemble, nous pouvons nous unir contre cet esclavagisme moderne et des conditions de travail sordides, ensemble disons non à ces photographes qui font n’importe quoi en concert sous des prétextes fallacieux. Rejoignez le C-CMOS (Comité des Capteurs Maltraités Ou Surexploités)(vous pouvez aussi verser des dons pour envoyer Simone à une bien méritée retraite, hin hin hin)
Merci beaucoup Simone pour ce si rare et si poignant témoignage.

*Pour des raisons évidentes d’anonymat impossible à protéger, le prénom n’a pas été changé. et oui, mon capteur s’appelle Simone.