On est là, dans une chambre d’hôtel sans personnalité, juste des petits cadres pendus au murs, des photos en noir et blanc et on attend. On est là, dans cette chambre d’hôtel à Paris, un peu figée, trop carrée, de la lumière coule par une fenêtre et Toumani parle du Mali. En attendant. Moi, assise dans un coin, en écoutant Rédac Chef et Toumani parler, je me demande bien comment je vais le cadrer. Je me dis que je verrai bien, quand on aura fini d’attendre.
On attend la kora de Toumani, elle est dans un coffre en bas, mais le type de la reception ne veut pas aller la chercher. Sinon, il doit quitter son guichet. Et le monde risque d’exploser s’il quitte son guichet. C’est comme ça. Donc on attend. Et je ne sais pas bien comment je vais cadrer. Avec les murs beige et la lumière qui coule par la fenêtre et Toumani qui parle du Mali.

Finalement, je me rends compte que j’aime bien cadrer serré. Et quand la kora arrive, elle chamboule tout. Les murs, les lignes, le canapé jaune, les petits cadres au mur avec les photos en noir et blanc, c’est merveilleux une kora dans les mains de Toumani Diabaté, mais ça chamboule tout. Alors je cadre serré.

toumani diabaté

Il est le cliché parfait du vieux-monsieur-espiègle-et-juvénile. Alors je photographie un jeune vieux monsieur. Il arrive dans la pièce et allume une cigarette pour la fumer rapidement à la fenêtre pendant que je sors mon matériel. L’immeuble est non fumeur, bien entendu. Mais je n’ai rien à préparer, je sors juste mon appareil et mon 50mm. J’oriente son fauteuil, lui demande de s’asseoir et nous voilà partis pour une des sessions les plus drôles, les plus détendues et les plus faciles que j’ai faites. La plupart du temps, il sourit et garde bien ses yeux ouverts, fait des petites grimaces et discute allègrement. Et puis l’instant d’après, il est perdu dans ses pensées, sérieux, et mon jeune vieux monsieur redevient le jazzman respecté au beau visage ridé. Un monsieur. Encore quelques secondes et alors que j’oriente juste son visage et son regard, je photographie à nouveau mon jeune vieux monsieur.

jacques coursil

Jacques Coursil pour World Sound, février 2010.

C’est une histoire de brève rencontre et de session ratée. Un coup de fil alors que j’arrive à Orly pour prendre un avion, as-tu d’autres photos ? Non, pas vraiment. J’ai déjà la tête à Johannesburg, mais je promets à Rédac Chef de vérifier. Ma carte mémoire n’est pas encore formatée mais non, rien d’autre, rien de bien, j’en envoie une ou deux, pour le principe. A mon retour, il me dit embêté qu’il n’a mis qu’une vignette, dans le sommaire et pour l’article, une photo promo. Je dis, je suis désolée. C’est la première fois que Rédac Chef ne passe pas un de mes portraits, je me dis ça arrive de se louper mais je sais que c’est vraiment dommage. Et depuis, je me demande souvent pourquoi j’ai raté ces photos, sans raison apparente.

C’est peut-être aussi banal qu’une journée sans lumière dans une semaine sans inspiration. C’est peut-être aussi bête qu’avoir déjàla tête ailleurs, à une semaine du départ pour l’Afrique du Sud. C’est peut-être aussi con que la pression du temps qui court et de Rédac Chef qui discute avec l’attachée de presse à trois pas. Ce sont des mauvais cadrages, des mises au point aléatoires, des attitudes qui m’échappent dans un lieu qui ne me parle pas.
C’est une artiste disponible et adorable pourtant et qui m’intimide bizarrement. Elle chantonne tout doucement pendant que je tourne autour d’elle et j’aime bien ça, qu’elle chantonne, qu’elle me regarde ou pas, qu’elle soit là et pas là à la fois, et je me doute bien que ça lui donnera des expressions bizarres, figées, mais je laisse faire. Je l’interromps parfois pour diriger son regard et puis voilà.

C’est aussi curieux que le bref attachement que je n’oublie pas avec ceux et celles que je cadre, quelques mots échangés, quelques regards, quelques sourires et puis s’en va.

C’est aussi couillon que la confiance que je me fais que malgré tout, j’arriverais bien à capter ce petit moment de naturel que je recherche quand je fais des portraits. C’est une histoire de croisement de chemins, si ténu qu’il en est presque incertain. Elle est un petit peu ailleurs et moi peut-être pas tout à fait là, et je tourne autour d’elle et je ne la capture pas.

lhasa avril 2009

Mais elle sourit, et ça me va.

Farewell Lhasa.

great escape

Leaving South Africa – 04.09


Kwoon – Great Escape

(à écouter très très très fort)(pour les tympans de rechange, vois à l’accueil)(de rien)