Dans mon post précédent, je n’avais encore que le communiqué de l’avocate de Daniel Morel, cette fois, on a les justifications — ou ce qui en tient lieu — de l’AFP. Le noeud de l’histoire, c’est Twitter : c’est là que le photojournaliste a posté ses photos, dans la précipitation du moment, parce qu’il voulait relayer au plus vite la tragédie. Il a voulu faire son job : informer. (je n’invente rien : He also explains that he posted the images on Twitter with hopes that they “would span the globe to inform the world of the disaster, and that he would also receive compensation and credit as a professional photographer for breaking news of the earthquake before the news and wires services.” Source PDNPulse.com)

Malheureusement, les sites communautaires, à la Twitter, Facebook et autres ont des termes parfois sibyllins pour ce qui est de la propriété des contenus, voici ceux de Twitter :
“L’utilisateur conserve ses droits sur tout Contenu qu’il soumet, publie ou affiche sur ou par l’intermédiaire des Services. En soumettant, publiant ou affichant un Contenu sur ou par le biais des Services, l’utilisateur accorde à Twitter une licence mondiale non exclusive, libre de redevance avec le droit de sous-licencier, utiliser, copier, reproduire, traiter, adapter, modifier, publier, transmettre, afficher et distribuer le Contenu à tous les médias ou à toutes les méthodes de distribution (connues à présent ou développées ultérieurement).”

Donc l’AFP se base là-dessus : sous prétexte que Twitter relaie gratuitement tous les contenus postés (c’est un peu son but hein), la redistribution/gratuite s’applique aussi naturellement à une des plus grosses agences de presse mondiales. On va voir si ça se tient comme défense.

[EDIT 29.04] : en fait, c’est mieux que ça, puisque ce sont logiquement les termes de Twitpic et non ceux de Twitter qui seraient à prendre en compte, et ils stipulent bien que l’internaute conserve tous ses droits sur son contenu.
Source : http://www.1854.eu/2010/04/agence_france_presses_slap_to.html [/EDIT]

Mais là où l’AFP est d’une mauvaise foi toute particulière, c’est que AP et d’autres agences ont vu les photos sur Twitter, et ont aussitôt proposé à Morel de licencier ses images moyennant finances. Il n’y a apparemment QUE l’AFP et son petit bataillon de juristes qui se sont amusés à lui piquer ses images sans jamais lui proposer de paiement. C’est parfaitement salopard. Remercions tous l’AFP qui se fait gentiment de la thune sur le dos des photojournalistes indépendants et qui leur crache à la gueule en plus, juste parce qu’ils le peuvent.

A lire sur PDNpulse : Insult to Injury : AFP suing Photographer It Stole Photos From

Allons bon. Tout va toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pendant qu’on s’interrogeait sur l’avenir d’Eyedea et des photographes salariés ainsi que sur celui du fond photographique énorme, les grosses agences continuent à se goinfrer et à se moquer du droit le plus élémentaire. Je viens de lire ce communiqué hallucinant, envoyé par l’avocate de Daniel Morel, un photojournaliste haïtien qui le premier a mis des images du séisme en ligne. Dans ce communiqué, j’ai appris que l’AFP attaque le photographe pour “Antagonistic assertion of rights” (je ne suis pas sûre de faire une traduction adéquate, donc je laisse la VO), c’est à dire que “la plainte demande à la cour d’affirmer que l’AFP avait le droit d’utiliser les images de M. Morel sans autorisation ni paiement et demande en outre des dommages et intérêts” pour le tort commercial causé par les lettres de l’avocate à tous les médias qui ont publié les photos de Daniel Morel.

Je suis scotchée. Mais vraiment. Shocked. Ils sont complètement malades à l’AFP ou bien ?! Si j’ai bien compris (on ne sait jamais hein), une des plus grosses agences du monde est en train d’essayer de faire valoir le droit… à ne respecter AUCUN des droits d’un photographe, blam, comme ça.
De son côté “La “contreplainte” de M. Morel affirme que l’AFP a, délibérément ou par un mépris irréfléchi de son copyright et de la propriété intellectuelle, enfreint la loi pour 13 de ses images en les publiant, les distribuant et les vendant à tous ses clients avec un crédit AFP ou Getty” Il réclame plusieurs millions de dollars, vu l’utilisation qui a été faites des photos partout dans le monde, dans énormément de journaux, sur internet et tout.

Alors autant je reconnais que sur de tels événements, les agences se ruent sur toutes les images qu’elles peuvent trouver pour informer au plus vite et qu’il puisse y avoir de la précipitation, mais enfin, refuser de payer pour l’utilisation d’images est un tout autre problème quand l’auteur est finalement connu et qu’il fait tout simplement valoir ses droits !

Le communiqué apporte tous un tas d’autres détails chronologiques et contextuels sur l’histoire des photos, comment elles ont été piratées sur twitter par un autre gars etc. C’est en anglais, mais ça resitue bien.
Il se termine sur cette conclusion à laquelle je souscris totalement : “La jurisprudence que l’AFP et Getty apparemment essaient de défendre ici, permettrait en essence à quelqu’un de prendre et de commercialiser le contenu d’un auteur sans autorisation, crédit ou compensation financière raisonnable, ce qui ébranlerait la pratique bien installée d’user de tels revenus pour financer la création de nouveaux contenus par les photojournalistes.”

Je sais pas vous, moi ça me fait bien froid dans le dos. Cela dit, je me demande bien quels arguments juridiques l’AFP va pouvoir sortir de son chapeau pour justifier une telle aberration et un tel mépris pour le copyright et le droit d’auteur, en bref, la loi quoi, tout connement.

17 janvier, déjà. Sans voir le temps passer.
Je me laisse bombarder d’images et de news sur Haïti, tous les regards sont braqués là-bas. Pour combien de temps ? Combien de temps va-t-on laisser tourner les caméras sur la ruine avant de les détourner pudiquement de la misère quotidienne ? Tout va rentrer dans l’ordre, les dons seront donnés, les journalistes seront rentrés, les bidonvilles vont se reconstruire, les absurdités économiques seront reproduites, les pauvres resteront pauvres, que veux-tu. Les agences auront leur images et les news arrivées à saturation se tourneront vers d’autres actus chaudes bouillantes. Oh je ne devrais pas faire ma chochotte, si j’avais pu, je serais partie avec deux amis journalistes. Pour combien de temps ? Peut-être une dizaine de jours, le temps à peine d’effleurer une réalité que je ne connais pas dans un pays dont je connais trois fois rien. Et puis s’en va. Je ne devrais pas faire ma chochotte, c’est un métier de couvrir l’actu super chaude, les catastrophes, les guerres, les morts. Et on a besoin de journalistes/photographes pour couvrir ça, pour raconter. Mais ça me laisse quand même un arrière goût de je ne sais quoi, de voir tout le monde converger tout d’un coup vers un caillou laissé à l’abandon le reste du temps. Le monde retient son souffle quelques secondes, c’est l’émotion, envoyez vos dons, et surtout ne demandez pas à vos gouvernements et au FMI quelques éclaircissements sur ce qui se passe depuis 50 ans.
Je ne devrais pas faire ma chochotte, il faut bien raconter le monde tel qu’il est, quand il craque, quand il éructe, quand il saigne.
Mais moi ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qui se passe lorsque les caméas sont détournées, lorsque les envoyés spéciaux sont rentrés. Ce qui m’intéressait au Kosovo, c’était de percevoir les tensions restantes et la vie malgré tout dix ans après la fin de cette guerre dont les médias nous avaient saturés. Mais ça, c’était “intéressant oui, mais”. Point final. Et l’impression tout compte fait que tout le monde s’en tape. Je ne devrais pas faire ma surprise, il y a plus de place pour les morts que pour les vivants dans les médias, c’est comme ça. Et je ne devrais pas faire ma stupide, c’est aussi une question économique : les photographes indés ou d’agence sont plus sûrs de vendre leurs images sensationnalistes de catastrophes ou de guerres. Ce sont elles qui font les doubles dans Newsweek et les covers des quotidiens du monde entier.
Tant que j’y suis, allez donc lire ceci : Like moths to a flame, ça résume très bien ces contradictions et mon ambivalence. Et même l’ambivalence générale de la couverture médiatique d’un événement de ce genre. Lisez tout l’article et même celui-ci A pack of war paparrazi.

17 janvier déjà, et moi et moi et moi. Je ne vois plus le temps passer. Je passe mes journées à tourner de bien chouettes vidéos et à les monter. Le soir, quand je ne suis pas trop crevée, je bosse sur d’autres trucs. Les trucs en retard. Un diapo sonore très chouette qui attend d’être fini et chouine de frustration. Des negs à scanner qui criaillent aussi. Des photos déçues de ne pas avoir fait partie du premier choix qui hurlent aussi bosse-moi ! Mon portfolio qui attend une update et qui commence à s’énerver. Tout ça, ça fait un boucan de tous les diables, alors je mets ma musique encore plus fort, ça couvre le brouhaha environnant pour un temps.

Et puis sinon, si vous passez par Marly le Roi, entre St Germain en Laye et Versailles, par là, arrêtez-vous au Centre Culturel Jean Vilar, j’y expose une douzaine de portraits d’Afrique et autant d’histoires, c’est une expo commune avec mon cousin et un ami à lui et c’est bien beau et c’est jusqu’au 20 février.
Et si vous pouvez pas y aller, vous pouvez quand même acheter le mini catalogue de l’expo par ici.

C’était le bordel ce post, mais on est le 17 janvier déjà et je me sens un peu comme le lapin blanc.